L'Algérie est indépendante
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Les résultats du référendum d'indépendance dans les différentes régions d'Algérie sont inscrits, au fur et à mesure qu'ils par­viennent, sur le grand tableau noir qui a été exposé, toute l'après-midi à la chaleur caniculaire, et qui est maintenant éclairé par de puissants projecteurs. Ils seront bientôt à la « une » de tous les journaux !
Inscrits : 6 549 736 Votants : 6 010 806 Exprimés : 5 992 115 Nuls : 25 565
Oui : 5 975 581
Non : 16 534
C'est l'heure de la dernière formalité juridique, celle où  l'Exécutif provisoire rend officiellement à l'Algérie son extrait de naissance de pays admis dans la communauté des nations et bientôt membre de l'O.N.U. L'avocat Kaddour Sator, président de la Commission de contrôle du scrutin, dresse cet acte d'état civil.
Messieurs, l'Algérie est indépendante.
3 juillet, 10 heures du matin. Décidés à pavoiser de deux drapeaux algériens le building du Gouvernement général, deux soldats de l'A.L.N. traversent le Forum qui a été et qui sera encore, sans doute, le centre de la vie politique de l'Algérie.
Ils gravissent, le long de l'escalier monu­mental, les marches du Palais, pénètrent comme dans un moulin, dans cette citadelle jadis fortifiée, retranchée, barricadée, héris­sée d'armes et de serments, et ils montent jusqu'au dernier étage avant de trouver sur le chemin la présence française réduite à un rond-de-cuir symbolique jusqu'à la caricature.
Ce dernier, héritier d'une immémoriale tradition bureaucratique, a ce mot historique :
Remplissez une fiche
Façonnés, eux aussi, par cent trente ans d'influence française, les Algériens disent :
Oui, monsieur.
Le plus ancien dans le grade le plus élevé pose sur la table de bois son pistolet mitrailleur, sort de sa poche un crayon à bille et d'une grosse écriture appliquée, remplit la fiche suivante : Dale : 3 juillet — Nom : Mohammed. Profession : sous-officier. Objet de la visite : prendre possession du Gouvernement général.
 Signez, dit, après lecture, le fonctionnaire.
Mohammed signe et persiste dans ses intentions pavoisantes. Il hisse un drapeau sur le toit et un autre au premier étage face au Forum.
3 juillet, 16 h 30. La Caravelle rouge et blanche de Tunis-Air, prise en charge et guidée par les radars de la base militaire française, prend doucement sa piste et s'immobilise devant l'aérogare. L'échelle de coupée est avancée pour ces Messieurs qui sortent à la queue leu leu, en rang d'oignons.
Voici dix ministres algériens, très semblables à eux-mêmes, et tels que la presse internationale a appris à les connaître, au fil des jours de leur exil. Voici, précédant toute la brochette des chefs historiques, Boudiaf, Aït Ahmed, Bitat Rabah et Belkacem Krim, Ben Khedda qui est triste, et Dahlab qui est gai, et Mohammedi Saïd qui est gros, et Ben Tobhal qui est petit, et Boussouf qui est myope, et Yazid tondu de frais qui s'ébroue comme un caniche.
Signe de la crise qui secoue ce gouvernement : les deux ministres les plus Opposés à Ben Khedda, Ben Bella et Khider, manquent à l'appel. Tout le monde les cherche en vain du regard parmi la suite nombreuse des épouses, des mères, des fils, des filles, des adjoints, des experts, des secrétaires, des porte-serviettes, des amis, des amis des amis, et des accompagnateurs tunisiens. La radio de l'aérodrome joue Kassamane (Le Serment) qui fige tout un chacun au garde-à-vous. Les ministres mettent pied à terre. Pour la première fois, un gouvernement algérien va siéger sur le sol national.

Le FLN prend le pouvoir
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